+
+
+ ANDRÉ
+
+ LE GANSONNIER
+
+ DR A ME
+
+ EN
+
+ DEUX ACTES, MÊLÉ DE COUPLETS ;
+
+ PAR MM.
+
+ FONTAN ET CH. DESNOYER.
+
+ REPRÉSENTÉ POUR LA PREMIÈRE FOIS, A PARIS,
+
+ SUR LE THÉATRE DES NOUVEAUTÉS,
+
+ LE I 2
+
+ AOUT 183 o.
+
+ сC
+
+ A BRUXELLES,
+
+ AU BUREAU DU RÉPERTOIRE,
+
+ CHEZ ODE ET WODON, IMPRIMEURS-LIBRAIRES,
+
+ BOULEVARD DE WATER100, No 34.
+
+ 1830.
+
+ !
+
+ PERSONNAGES. ACTEURSDE PARIS.
+
+ MM.
+
+ ANDRÉ BERNARD, jeune poète. BOUFFÉ *.
+
+ LASALLE, représentant du peuple. MOREL.
+
+ BERNARD, père d'André, et concierge du château de Solanges. THÉNARD.
+
+ CYPRIEN, officier de cavalerie. DERVAL.
+
+ THOMAS, paysan. AUGUSTE.
+
+ UN COURRIER. VÉZIAN.
+
+ UN DOMESTIQUE. BACHELARD.
+
+ ROBERT, Dragons. MATHIEU.
+
+ PHILIPPE, Dragons. MASSON
+
+
+ Mmes
+
+ EMILIE DE SOLANGES. Génot.
+
+ THERESE, mère d'André. DESPREZ.
+
+ LOUISE, filleule d'André. DEJAZET.
+
+ CATHERINE, paysanne. LÉONTINE.
+
+ PAYSAN, PAYSANNES, DRAGONS, etc.
+
+
+ * Ce rôle appartient à l'emploi des jeunes premiers rôles.
+
+
+
+ DE BRUXELLES
+
+ MM.
+
+
+ IMPRIMERIE DE ODE ET WODON,
+
+ LOULEVARD DE WATERLOO, x, 34.
+
+ ANDRÉ
+
+ LE CHANSONNIER.
+
+
+
+
+ ACTE I
+
+ 1792.
+
+ Le Théâtre représente un appartement du château de
+
+ Solanges, sur les frontières de la Suisse.
+
+
+
+
+
+
+
+ SCÈNE PREMIÈRE.
+
+
+ BERNARD, THÉRÈSE.
+
+ (Au lever du rideau,
+
+ ils sont debout devant une
+
+ fenêtre, et regardent avec inquiétude.)
+
+ Est-ce lui ?
+
+ Non, silence !
+
+ Écoutons.
+
+ BERNARD
+
+ Thérèse.
+
+ BERNARD
+
+
+ THÉRÈSE.
+
+
+ Je n'entends plus rien.
+
+
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Ni moi.
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Pauvre garçon ! qu'il soit pris ou non, dans cet
+
+ instant sans doute on le juge.
+
+ BERNARD
+
+ On le condamne, nous ne le reverrons plus peut
+
+ être !
+
+ (Il va s'asseoir désespéré.)
+
+ Thérèse, le suivant.
+
+ Ah ! mon Dieu ! qu'est-ce que tu dis là ? mon fils !
+
+ BERNARD.
+
+ Non, non, j'avais tort, ma pauvre Thérèse : espé
+
+ rons.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Le perdre, lui, notre André ?
+
+ BERNARD.
+
+ Un jeune homme de si belle espérance !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Sans lui d'abord je ne pourrai vivre…
+
+ BERNARD.
+
+ Ni moi non plus… écoute donc, femme… écoute
+
+ donc…
+
+ Quoi ? …
+
+ Il m'a semblé…
+
+ Non.
+
+ Thérèse.
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ Non… Rien encore !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Rien ! …
+
+ (Ils tombent tous les deux, comme annéantis, sur
+
+ ACTE I, SCENE I.
+
+ 5
+
+ leurs chaises. On entend un roulement de tam
+
+ bour ; les deux vieillards relèvent la téte.)
+
+ La garde !
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ La garde ! … c'est lui peut-être, c'est notre fils que
+
+ l'on vient d'arrêter.
+
+ O ciel !
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Si cela est vrai, Sainte-Vierge, fais qu'il s'échappe
+
+ encore une fois !
+
+ BERNARD.
+
+ Ou du moins, que le tribunal ne le condamne pase
+
+ Ne devrait-il pas rester ici, se cacher ? Ou bien,
+
+ gagner la frontière de Suisse qui est tout près d'ici.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ L'imprudent ! … quand il est poursuivi de tous côtés,
+
+ il se montre partout.
+
+ BERNARD.
+
+ Il continue de faire des plaisanteries, des chansons
+
+ sur ses juges.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Il a tant d'esprit notre fils, qu'il ne peut s'empê
+
+ cher de mettre en chansons tout ce qu'il a sur le
+
+ caur.
+
+ BERNARD.
+
+ S'il est né avec du génie, ce n'est pas sa faute.
+
+ Ni la nôtre.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD
+
+ Ce
+
+ que
+
+ c'est
+
+ que de nous ! dire que moi, concierge
+
+ du château de Solanges, j'ai pour fils un homme qui
+
+ 6
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ 1
+
+ vaut mieux que des chevaliers et des marquis… et
+
+ qui sait ? peut être bien qu'un jour notre André…
+
+ Il deviendra marquis ?
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ Eh ! non… je veux dire seulement que, depuis que
+
+ notre bon maître, Monsieur Solanges, gémit dans les
+
+ cachots, André est resté avec nous… il a vu tous les
+
+ jours mamselle Emilie sa fille.
+
+ Il la console.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ Il lui chanté ses chansons patriotiques.
+
+ THÉRÈSe.
+
+ Enfin, l'autre jour, je les ai surpris qui pleuraient
+
+ ensemble.
+
+ Si par hasard…
+
+ Hein ?
+
+ Quoi ?
+
+ Plaît-il ?
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ TRÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ Enfin, par le temps qui court, tout est possible…
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Tais-toi, tais-toi… à quoi pensons-nous
+
+ là ? et
+
+ dans quel moment ? …
+
+ C'est vrai.
+
+ BERNARD
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Et, sans mamselle Emilie peut-être, sans l'intérêt
+
+ 1
+
+ ACTE I, SCENE I.
+
+ 7
+
+ qu'elle porte à notre fils,
+
+ il ne serait pas si malheu
+
+ reux.
+
+ Comment ?
+
+ BERNARD.
+
+ Thérèse.
+
+ C'est pour cela même que Lasalle lui en veut
+
+ tant, qu'il est si acharné contre lui.
+
+ BERNARD.
+
+ Que dis-tu, Thérèse ? Lasalle ! … tu penses…
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Je pense qu'il est jaloux ; il a demandé en mariage
+
+ mamselle Emilie…
+
+ autrefois
+
+ le plus insolent des
+
+ seigneurs,
+
+ il est aujourd'hui le plus indigne de nos
+
+ représentans…
+ Monsieur Solanges.
+
+ et
+
+ il
+
+ tient en ses mains la vie de
+
+ BERNARD
+
+ Oui, le cruel ! … il proscrit notre ancien maître,
+
+ pour avoir ses richesses et sa fille ; il proscrit notre fils,
+
+ parce qu'André n'est pas dupe de son hypocrisie, et
+
+ qu'il le démasque dans ses chansons.
+
+ Ah ! c'est affreux.
+
+ THÉRÈse.
+
+ BERNARD.
+
+ Cette fois, je ne me trompe pas ; j'entends marcher.
+
+ On vient
+
+ ici.
+
+ par
+
+ Si c'était…
+
+ TÁÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Mon fils ! courons.
+
+ BERNARD
+
+ courant avec elle.
+
+ Non, ce n'est pas lui.
+
+ 8
+
+ ANDRÉ LE
+
+ CHANSONNIER
+
+ .
+
+ Thomas !
+
+ Catherine !
+
+ Thérèse,
+
+ BERNARD.
+
+ (Thomas et Catherine entrent tout essoufflés.)
+
+
+ SCÈNE II.
+
+
+
+ SCÈNE II.
+
+
+
+ Les Mêmes, THOMAS,
+
+ CATHERINE.
+
+ Mes amis, qu'avez-vous vu ?
+
+ Thérèse.
+
+ BERNARD.
+
+ Que se passe-t-il ? que venez-vous nous apprendre ?
+
+ THOMAS ET
+
+ CATHERINE.
+
+ Rien !
+
+ BERNARD.
+
+ Vous ne venez pas du tribunal ?
+
+ CATHERINE ET THOMAS.
+
+ Si fait.
+
+ Eh ! bien ?
+
+ Parlez.
+
+ Parlez donc.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD
+
+ TĦÉRÈSE.
+
+ Le tribunal était encombré de monde.
+
+ ÇATHERINE.
+
+ Il n'y avait plus de place pour nous.
+
+ THOMAS.
+
+ CATHERINE.
+ Les soldats nous ont fait sortir.
+
+
+
+ SCÈNE III
+
+
+ Les Mêmes, LOUISE.
+ Ainsi, vous ne savez ricn !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Rien du tout.
+
+ CATHERINE.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Mais Louise, la petite filleule de notre André ?
+
+ BERNARD
+
+ Elle était avec vous.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Qu'est-elle devenue ?
+
+ THOMAS.
+
+ Ah ! c'est vrai… dis donc, femine, qu'est-elledevenue ?
+
+ CATHERINE.
+
+ Oui, qu'est-elle derenue ?
+
+ Je ne sais pas.
+
+ Ni moi.
+
+ THOMAS.
+
+ CATHERINE.
+
+ (On entend dans la coulisse crier Louise.)
+
+ Me voilà ! ine voila ! … Monsieur Bernard ! vite !
+
+ vite ! ouvrez, ouvrez-moi donc.
+
+ BERNARD ET THÉRÈSE.
+
+ C'est elle !
+
+
+ SCÈNE III.
+
+
+ Les Mêmes, LOUISE.
+
+ LOUISE, entrant précipitamment.
+
+ Mes amis ! mes bons amis !
+
+ AIR de Fernand Cortès.
+
+ LOUISE, entrant précipitamment.
+ Sauvé ! sauvé ! sauvé !
+ Désormais plus d'alarmes ;
+ Le ciel a vu nos larmes,
+ Il nous l'a conservé.
+
+ BERNARD, parlant.
+
+ Comment ! que dis-tu ?
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Notre fils !
+
+ BERNARD.
+
+ Mon cher André.
+
+ LOUISE.
+
+ (Tout le monde se groupe autour d'elle.)
+
+ Écoutez-moi… vous savez qu'il n'y avait plus de place pour nous à l'audience, et que les soldats nous avaient mis tous les trois à la porte ; moi, qui ai de la tête, et qui ne me décourage pas, je suis parvenue en dépit de tout le monde à me glisser de nouveau dans l'intérieur. J'ai offert à Cyprien, ce sous-officier qui est venu quelquefois au château, le fruit de mes épargnes, des cadeaux de mon parrain et de mademoiselle Émilie. Cyprien a refusé, et tout en grognant, il m'a permis de me cacher derrière lui, et là je ne perdais pas un mot. Je voyais bien que quelques personnes me montraient au doigt, et disaient : Fi ! que c'est vilain ! une petite fille, venir voir juger et condamner les pauvres gens. Mais je ne répondais pas moi, j'écoutais… et quand on a dit : André Bernard, acquitté… alors, je n'avais plus rien à entendre, j'ai percé la foule… et je n'en puis plus.
+
+ (Reprenant l'air :)
+
+ LOUISE.
+ Courant sans m'arrêter,
+ Je me soutiens à peine,
+ Mais je reprends haleine,
+ Amis, pour répéter :
+
+ Sauvé ! sauvé ! sauvé !
+ Désormais plus d'alarmes.
+ Le ciel a vu nos larmes ;
+ Il nous l'a conservé.
+
+ CHŒUR.
+ Sauvé ! sauvé ! sauvé ! etc.
+
+
+
+ Est-il possible !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD
+
+ Ainsi, je n'aurais plus à trembler pour ses jours !
+
+ LOUISE.
+
+ Mais quand je vous le dis
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Quel bonbenr !
+
+
+
+
+
+
+ SCÈNE IV.
+
+
+
+
+ LES MÊMES, UN COURRIER.
+
+ LE COURRIER, tenant à la main un paquet cacheté
+
+ Mademoiselle Émilie de Solanges.
+
+ LOUISE.
+
+ Par ici.
+
+ (Elle lui indique un escalier placé à la droite des ac
+
+ teurs. Le courrier entre.)
+ .
+
+
+ SCÈNE V
+
+
+ Les MÊMES, excepté LE COURRIER.
+
+ LOUISE, regardant du côté par où le courrier s'est
+
+ éloigné.
+
+ Ce paquet cacheté, ça doit être l'heureuse nouvelle.
+
+ Probablement.
+
+ BERNARD
+
+ LOUISE.
+
+ C'est égal, je l'ai sue la première.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Ça fera bien plaisir à cette chère demoiselle.
+
+ LOUISE.
+
+ Plaisir ! pas plus qu'à moi !
+
+ BERNARD
+
+ Elle est si bonne ! elle s'intéresse tant à notre fils.
+
+ LOUISE.
+
+ Pardine ! ne dirait-on pas qu'elle est la seule ? et
+
+ moi donc ?
+
+ Toi, c'est différent.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ LOUISE.
+
+ Après tout ce que mon parrain a fait pour moi,
+
+ est-ce que je ne dois pas l'aimer plus que tout le
+
+ monde ? est-ce que ce n'est pas lui qui a recueilli,
+
+ élevé la pauvre orpheline ? est-ce que ce n'est pas lui
+
+ qui m'apprend à lire et à écrire, et qui sera cause
+
+ un jour, que je serai peut-être une demoiselle au lieu
+
+ d'une paysanne ?
+
+ BERNARD
+
+ Voyez-vous la petite ambitieuse !
+
+ ACTE I, SCENE VI.
+
+ 13
+
+ LOUISE.
+
+ Enfin, est-ce que ce n'est pas lui ? …
+
+ (On entend André Bernard chanter dans la coulisse.)
+
+ On entend André Bernard chanter dans la coulisse.)
+
+ Cherchez, cherchez bien !
+ À votre œil, le téméraire
+ Saura se soustraire,
+ Et vous ne trouverez rien.
+
+
+
+ LOUISE.
+
+ Entendez-vous, c'est sa voix… mon parrain !
+
+ BERNARD ET THÉRÈse.
+
+ Mon fils ! …
+
+ (Tout le monde court au-devant de lui ; il entre en
+
+ scène et les embrasse.)
+
+
+
+ SCÈNE VI.
+
+
+ LES MÊMES, ANDRÉ.
+ ANDRÉ.
+
+ Bonjour, mes amis, bonjour.
+
+ Te voilà donc !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD
+
+ Y avait-il long-temps que je ne t'avais embrassé !
+
+ ANDRE.
+
+ C'est vrai…
+
+ et ce n'est pas leur faute… si vous
+
+ m'embrassez aujourd'hui. Je viens de leur échapper
+
+ peul-être pour la vingtième fois… J'ai du bonheur
+
+ avec eux, ils ne peuvent jainais m'attraper.
+
+ LOUISE,
+
+ Dites dunc, mon parrain, vous ne savez pas ?
+
+ 14
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Tais-toi, ce qui vient de m'arriver m'a donné l'idée
+
+ d'une chanson, et comme je suis en verve…
+
+ LOUISE.
+
+ Mais, mon parrain, apprenez…
+
+
+ Silence donc ! Je t'ai déjà défendu de rien dire quand j'étais en train de composer.
+ (Jouant les couplets suivans, comme si les détails qu'ils renferment se passaient réellement en scène.)
+
+ AIR : Aux armes, janissaires ! de M. Herold. ( Missolonghi.)
+ (A voix basse.)
+
+ ANDRÉ.
+ Alerte, et du silence !
+ Je l'ai vu ! Par ici
+ Marchons avec prudence,
+ Suivez-moi, le voici.
+
+ Changeant de ton, et plus bas encore.)
+
+ Cherchez, cherchez bien !
+ À votre œil le téméraire
+ Saura se soustraire,
+ Et vous ne trouverez rien.
+
+ Nouveau changement de ton.)
+
+ Sentinelle attentive,
+ En joue, et feu sur lui !
+ Gare qu'il ne s'esquive
+ Encore aujourd'hui.
+ C'est lui,
+ C'est lui,
+ C'est bien lui !
+ Oui !
+
+ Très bas, et ayant l'air de se cacher.)
+
+ Dieu des proscrits, toi que toujours j'implore,
+ Toujours aussi propice à mes malheurs,
+ Ferme les yeux de mes persécuteurs,
+ Que, grace à toi, je leur échappe encore.
+ Tout bas, tout bas, j'ose te supplier,
+ Dieu ! sois en aide au pauvre chansonnier !
+ Ah ! sois en aide, etc.
+
+ Nouveau changement de ton.)
+
+ Alerte, et du silence !
+ Par ici, je reviens,
+ Marchons avec prudence,
+ Cette fois, je le tiens.
+
+ (Très fort et très gaîment.)
+
+ Cherchez, cherchez bien !
+ À votre œil, le téméraire
+ Saura se soustraire,
+ Et vous ne trouverez rien.
+
+
+
+ (Moment de silence.)
+
+ Eh bien, comment la trouvez-vous, ma chanson ?
+
+ BERNARD.
+
+ Très bien.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Excellente, superbe ! a-t-il de l'esprit, notre André ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ Et toi, Louise, qu'en dis-tu ?
+
+ LOUISE.
+
+ Ce que j'y trouve de vieux, c'est qu'à l'avenir elle
+
+ ne sera plus jamais de circonstance.
+
+ 16
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Comment ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Il
+
+ у a une heure que je veux vous apprendre ça,
+
+ vous ne voulez pas m'entendre. Je viens du tribunal ;
+
+ j'ai entendu le jugement. Vous êtes acquitté.
+
+ Acquitté ?
+
+ Oui, mon fils !
+
+ ANDRÉ.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD
+
+ Oui, mon cher André.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Vraiment ? enbrassons-nous encore une fois.
+
+ Oui, mon parrain.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Et vous aussi, mon père, ma mère, Thomas, Cache
+
+ rine, embrassons-nous ! quel bonheur ! quelle joie ! ah !
+
+ j'en perdrai la tête !
+
+ LOUISE.
+
+ Et moi aussi.
+
+ (Émilie entre en scène, une lettre à la main et påle
+
+ comme la mort.
+
+ TOUS.
+
+ Et moi aussi.
+
+ Mademoiselle de Solanges !
+
+ LOUISE, l'apercevant.
+
+ ANDRÉ.
+
+ C'est elle !
+
+ ACTE I, SCENE VII.
+
+ 17
+
+
+
+ SCÈNE VII.
+
+
+
+ SCÈNE VII.
+
+
+ LES MÊMES, ÉMILIE.
+
+ LOUISE, à part.
+
+ Qu'est-ce qu'elle a donc ?
+
+ Vous ici, André, vous ici ?
+
+ ÉMILIE, à André.
+
+ ANDRÉ.
+
+ "
+
+ Moi-même.
+
+ Émilie, avec frayeur.
+
+ Vous a-t-on vu entrer au château ?
+
+ Je ne sais pas.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE, à
+
+ part.
+
+ Est-ce que cette lettre ne serait point…
+
+ EMILIE, faisant un efort sur elle-même.
+
+ J'ai besoin de vous parler… seul… Thérèse, Ber
+
+ nard, mes amis, laissez-nous pour un instant.
+
+ Thérèse, avec joie.
+
+ Mais vous n'avez pas appris…
+
+ EMILIE.
+
+ Tout, bonne mère, tout… retirez-vous, de grace…
+
+ (Ils se retirent, hors Louisc.)
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh ! bien, ma gentille filleule, qui te retient ici,
+
+ cet le place ?
+
+ LOUISE, distraite.
+
+ Moi, rien… je m'en vais, mon parrain ; je ne sais
+
+ pourquoi, j'ai peur.
+
+ Eh bien ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ 2
+
+ 18
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Je m'en vais !
+
+ LOUISE.
+
+
+ SCÈNE VIII.
+
+
+ ÉMILIE, ANDRÉ.
+ ÉMILIE.
+
+ Imprudent ! qui vous amène en ces lieux ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ Qu'ai-je à craindre ? ne suis-je pas acquitté ?
+
+ Acquitté… Lisez !
+
+ ÉMILIE.
+
+ (Elle lui présente la lettre.)
+
+ ANDRÉ, lisant.
+
+ « Je vous annonce, mademoiselle, une triste nou
+
+ « velle : un moment j'ai cru vos væux et les miens
+
+ « satisfaits… un jeune homme du même nom que
+
+ « notre jeune poète, faisait partie des accusés de cette
+
+ « journée ; il a été absous. »
+
+ (S'interrompanl.) Mon nom du moins a porté bon
+
+ heur à quelqu'un !
+
+ ÉMILIE.
+
+ Poursuivez.
+
+ ANDRÉ, continuant.
+
+ « Mais, un instant après, on a prononcé le nom
+
+ « d'André Bernerd, et cette fois c'était le nôtre, un
+
+ « auteur de chansons. »
+
+ (S'interrompant encore.) C'est
+
+ bien moi… « Hélas ! mademoiselle, tout espoir est
+
+ « perdu… condamné à mort par contumace. »
+
+ Mourir ! à vingt-cinq ans ! (et se frappant la tête.)
+
+ Pourtant, il у avait là quelque chose !
+
+ ACTE I, SCENE VIII.
+
+ 19
+
+ ÉMILIE.
+
+ Vous n'avez plus qu'un parti à prendre, il faut fuir,
+
+ André, il faut mettre vos jours à l'abri du coup mortel
+
+ qui les menace. Partez.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ma foi, non, je reste.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Partez sur-le-champ, dans quelques minutes vous
+
+ pouvez gagner la frontière. Fuyez, vous dis-je.
+
+ Je reste.
+
+ C'est du délire.
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Délire ou courage, je reste.
+
+ ÉMILIE,
+
+ Ignorez-vous qu'on est déjà sur vos traces ? Lisez
+
+ donc jusqu'au bout cette lettre fatale.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! je me doute à peu près de ce qu'elle contient
+
+ (Il lit.)
+
+ « Aussitôt le prononcé du jugement qui condamne
+
+ « André à la peine capitale, Lasalle est parti, suivi
+
+ « d'un détachement de dragons… » Lasalle !
+
+ Émilie, avec douleur.
+
+ Point d'espoir de vous sauver, si vous tombez entre
+
+ ses mains.
+
+ ANDRÉ.
+
+ N'a-t-il pas rendu quelques services à monsieur
+
+ volre père depuis son arrestation ? n'est-ce pas à lui
+
+ que vous devez qu'il ne soit pas encore comme moi
+
+ traduit devant le tribunal ?
+
+ 20
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ ÉMILIE.
+
+ A lui-même… mais vous, vous épargnera-t-il plus
+
+ que vous ne l'épargnez dans vos vers ? …
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh ! bien, qu'il vienne donc. J'ai appris depuis
+
+ long-temps à me résigner à inon sort ! aussi bien tous
+
+ mes plaisirs, lous mes væux, tous mes rêves de bon
+
+ heur m'attachent au doux pays où j'ai reçu le jour ;
+
+ s'il faut le fuir, que m'importe la vie et mes souvenirs
+
+ d'enfance ? les emporterai-je sur la terre d'exil ? et
+
+ mes affections, mes amitiés, mon père, ma mère,
+
+ d'autres peut-être, tout cela viendra-t-il avec moi ?
+
+ tout cela suivra-t-il le proscrit ?
+
+ ÉMILIE.
+
+ Ils se consoleront de votre absence, en pensant que
+
+ vous êtes sauvé… et que vous pouvez encore être
+ heureux.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Heureux ! je le suis ici, je le suis maintenant.
+
+ Insense !
+
+ ÉMILIE.
+
+
+
+ Là bas, par-delà les frontières, je serais seul… et puis… vous ne savez pas… j'aime ! ce mot là doit tout vous dire… j'aime… que de fois haletant, poursuivi, malgré les périls qui m'environnaient, j'ai trouvé, pour me rapprocher d'elle, des forces nouvelles, un courage nouveau ; en pensant à elle, les images tristes qui assiégent l'ame d'un proscrit prenaient une teinte riante, se revêtaient de franches couleurs. Là, toujours là, toujours devant mes yeux, ah ! je le sais trop, cet amour qu'elle m'inspire, jamais il ne sera partagé… Sans naissance, sans fortune, je ne puis, je ne dois pas y prétendre… mais, du moins, je la vois, je suis près d'elle… et qui sait, si dans ces temps de discorde, si quelque danger imprévu ne la menace point ; qui sait si un jour elle n'aura pas besoin de mon appui ?
+
+
+ Air de Gillette. (Premier acte.)
+
+ ANDRÉ.
+ J'en appelle à vous-même,
+ J'ai fait le doux serment
+ De servir ce que j'aime,
+ Jusqu'au dernier moment.
+ Mon cœur le renouvelle ;
+ Ah ! qu'il soit pour André
+ Sacré !
+ Oui, pour veiller sur elle,
+ Je resterai.
+
+
+ ÉMILIE.
+
+ Eh ! malheureux ! vous pensez à protéger les autres,
+
+ et la mort est sur votre tête !
+
+ ANDRÉ.
+
+ C'est vrai, je suis un extravagant… J'aime…
+
+ ÉMILIE.
+
+ Et si cela est vrai… ne devriez-vous pas, pour elle,
+
+ pour elle-même, pour cette femme qui exerce, dites
+
+ vous, tant de pouvoir sur votre ame, ne devriez-vous
+
+ pas songer à conserver vos jours ?-
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! sans doute ils lui sont indifférens.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Non, non, vous ne pouvez le croire.
+
+ Que dites-vous ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ (On entend le bruit d'une musique de cavalerie dans
+
+ le lointain.)
+
+ Toujo
+
+ Non
+
+ A
+
+ 0
+
+ du
+
+ 22
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Grand Dieu ! c'est lui ! c'est Lasalle, peut-être ! …,
+
+ André, mon ami… je vous en conjure pour la dernière
+
+ fois ; fuyez !
+
+ Madame !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Si ce n'est pas pour vous, du moins, pour votre
+
+ famille… Enfin, faut-il vous dire plus ? pour moi
+
+ même.
+
+ Émilie !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Qui, mon existence est attachée à la vôtre.
+
+ Émilie ! …
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Mes veux vous suivront sur la terre étrangère ; si
+
+ j'apprends que vous êtes en sûreté, quelque sort qui
+ m'afflige, je serai contente.
+
+ Vous m'aimez !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Oui, André, oui, je vous aime, et vous l'ignoreriez
+ encore sans ce moment cruel qui m'a révélé toute mon
+ ame. Élevés ensemble, associés aux mêmes jeux, la
+
+ seule distance que placent entre eux les hommes, la
+ naissance et la fortune, avaient séparé André d'Emilie ;
+
+ cette barrière fatale existe encore peut-être, non dans
+
+ mon cæur, mais dans les préjugés de mon père. N'im
+
+ porte, quoi que l'avenir me destine, qu'il me faille
+
+ céder à un devoir ou suivre l'inclination de mon ame,
+
+ croyez bien, ah ! croyez que vous vivrez dans mon
+
+ seuvenir…
+
+ ANDRÉ.
+
+ Toujours ?
+
+
+ Mon ami !
+ Même air.
+
+ ÉMILIE.
+ Ah ! cède à mes larmes,
+ Et fuis loin de ces lieux :
+ Vois mes maux, vois les larmes
+ Qui coulent de mes yeux.
+ Nos pleurs vont se confondre :
+ Si tu meurs, je mourrai …
+ Que pourrez-vous répondre ?
+
+ ANDRÉ.
+ Je partirai.
+
+
+
+ ANDRÉ.
+
+ Je partirai !
+
+ ÉMILIE.
+
+ A l'instant !
+
+
+
+ Oui, je vous obéis, je pars, et j'emporte avec moi du bonheur pour tout mon exil.
+
+
+
+ AIR de la Vieille.
+
+ ANDRÉ.
+ Terre d'exil, comme à mes yeux,
+ Maintenant, tu t'es embellie !
+ Le doux souvenir d'Émilie
+ Va m'accompagner en tous lieux.
+ Plaisirs, gaîté, vive folie,
+ Voltigez sur mon front joyeux,
+ Gaîté, plaisirs, soyez mes dieux.
+ Fleurs du printemps, empressez-vous d'éclore ;
+ L'air sera pur, le vallon parfumé ;
+ Vous, proscripteurs, satisfaites encore
+ La soif du sang dont l'ardeur vous dévore ;
+ Je ne crains rien, j'aime et je suis aimé ;
+ Je puis mourir, je suis aimé ;
+ D'un noble orgueil mon cœur est enflammé,
+ Je ne crains rien, je suis aimé.
+
+
+
+ Chère Émilie !
+
+ ÉMILIE.
+
+ Je crois entendre les pas de plusieurs chevaux dans la cour.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Non, ce n'est rien, quelques minutes encore !
+
+ Émilie, plus agitée.
+
+ Alors, peut-être, il ne sera plus temps.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh ! bien, adieu !
+
+ (Il lui baise la main.)
+
+
+
+
+ SCÈNE IX.
+
+
+
+
+ LES MÊMES, LASALLE, CYPRIEN.
+
+ ÉMILIE, apercevant Lasalle.
+
+ M. Lasalle ! … vous êtes perdu !
+
+ LASALLE, dans le fond.
+
+ C'est lui !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Voilà donc cet homme qu'on dit si acharné contre moi.
+
+ LASALLE, à Cyprien.
+
+ Que personne ne sorte du château !
+
+ CYPRIEN.
+
+ Ma foi, il y a déjà quelqu'un qui a forcé la consigne ;
+
+ c'est une petite fille qui trouve toujours moyen de faire
+
+ ACTE I, SCENE X.
+
+ 25
+
+ ce qu'elle veut… et tantôt encore, au tribunal… malgré
+ moi…
+
+ Il suffit.
+
+ LASALLE.
+
+ (Cyprien sort.)
+
+
+ SCÈNE X.
+
+
+ LES MÊMES, hors CYPRIEN.
+
+ (Lasalle vient se placer entre les deux personnages et
+
+ les observe.)
+
+ LASALLE, à André,
+
+ Tu dois être André Bernard !
+
+ (Mouvement d'effroi d'Émilie.)
+
+ C'est moi-même.
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Ciel ! … ah ! monsieur, monsieur, laissez fuir ce
+
+ jeune imprudent !
+
+ LASALLE.
+
+ Vous lui portez un vif intérêt, madenuoiselle ? …
+
+ ANDRÉ.
+
+ Et que t'importe l'intérêt qu'on prend à moi ?
+
+ LASALLE.
+
+ Ce n'est pas à toi que j'en veux rendre compte…
+
+ Assurez-vous de ce jeune homme !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! mon Dieu, c'est inutile, je n'ai pas l'intention
+
+ de résister, et tu les charges là d'une mission qui ne
+
+ les flatte guère, j'en suis certain. N'est-il pas vrai,
+
+ mes braves, que vous aimeriez mieux faire feu sur
+
+ l'ennemi que de conduire à la mort un pauvre proscrit
+
+ désarmé ?
+
+ 26
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Monsieur, au nom de mon père, qui fut le premier
+
+ protecteur d'André, de mon père, que des liens de
+ reconnaissance attachent déjà à vous, sauvez, sauvez
+
+ ce malheureux !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! mademoiselle… cessez de vous abaisser à snp
+
+ plier cet homme ; j'aime mieux sa haine qué sa pilić.
+
+ Misérable !
+
+ LASALLE.
+
+
+
+ Oui, je suis ton ennemi, parce que, toi et les tiens, vous êtes devenus les ennemis du pays. Quels bienfaits vous doit cette liberté naissante, dont le nom est sans cesse dans votre bouche ? Nous autres, c'est dans le cœur que nous la portons. Un jour, malgré vous, notre glorieuse révolution s'accomplira tout entière, par nous ou par nos enfans ; nous l'aurons enfin, cette liberté, nous l'aurons telle que la comprend Lafayette. Alors, des hommes tels que toi ne souilleront pas notre belle cause, en s'en déclarant les défenseurs ; le peuple la défendra, la maintiendra lui-même.
+
+
+ AIR du Dieu des Bonnes gens.
+
+ ANDRÉ.
+ Ennemi de toutes nos gloires,
+ Artisan de tous nos malheurs,
+ Tu n'as jamais pris part à nos victoires :
+ Oses-tu bien porter les trois couleurs ?
+ Cette cocarde, et si noble et si belle,
+ Que pour de l'or aux pieds tu foulerais,
+ Sans le respect que je garde pour elle …
+ Je te l'arracherais.
+
+
+
+ LASALLE.
+
+ Ah ! c'en est trop ! …
+
+ ANDRÉ.
+
+ Et maintenant, pourvoyeur de la geôle, fais ton
+
+ devoir… ou ton métier.
+
+
+
+ SCÈNE XI.
+
+
+
+
+ Les MÊMes, BERNARD, THÉRÈSE.
+
+ BERNARD, accourant.
+
+ Où est-il ? où est-il ?
+
+ THÉRÈSE, embrassant André.
+
+ Mon cher André !
+
+ BERNARD, à Lasalle.
+
+ Ah ! monsieur, ne repoussez pas la prière d'un
+ pauvre vieillard qui n'a que son fils pour appui ; laissez
+
+ fuir mon cher André !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Nous vous en supplions à deux genoux.
+
+ (On entend la voix de paysans disputant dans la cour
+
+ avec les soldats, et ces mots :)
+
+ « Nous l'aurons ; il nous faut André ! »
+
+ (La voix de Louise domine les autres.)
+
+ André, mon parrain ! il nous le faut, nous l'aurons.
+
+ Quel est ce bruit ?
+
+ LASALLE.
+
+ Une foule immense est rassemblée dans la cour du
+
+ ÉMILIE, à la fenêtre.
+
+ château.
+
+ 28
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+
+
+ SCÈNE XII.
+
+
+
+ Les Mèmes, CYPRIEN, SOLDATS, LOUISE.
+
+ CYPRIEN.
+
+ (Il se querelle avec Louise.)
+
+ J'ai l'ordre de ne laisser entrer personne.
+
+ LOUISE.
+
+ Eh ! monsieur Cyprien, je suis de la maison, moi.
+
+ Vous n'entrerez pas.
+
+ CYPRIEN
+
+ LOUISE.
+
+ Ah ! monsieur Cyprien, laissez-moi entrer.
+
+ (Elle entre malgré Cyprien et avec lui.)
+
+ CYPRIEN, à Lasalle.
+
+ On demande la liberté d'André Bernard.
+
+ Qui ose ainsi ? …
+
+ LASALLE.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Ils sont là au moins une centaine, armés de pioches
+ et de vieux fusils… Ils réclament André, et, si on ne
+
+ le leur rend pas sur-le-champ, ils menacent de le déli
+ vrer eux-mêmes. (Bas.) Je ne crois pas qu'il soit pru.
+
+ dent de le conduire ce soir au chef-lieu.
+
+ LOUISE.
+
+ C'est moi qui ai fait tout ça, pourtant.
+
+ LASALLE.
+
+ Tu as raison, demain… jusques là, songe que lu
+
+ m'en réponds sur ta tête.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Oui, sur ma tête…
+
+ ACTE I, SCENE XIII.
+
+ 29
+
+ LASALLE, montrant la coulisse à droite par où est
+
+ entrée Émilie.
+
+ (Bas.) Bien… Cet appartement communique à une
+
+ issue secrète qui mène à la route, je vais chercher une
+
+ force plus imposante. (Haut.) Dans un instant, je re
+
+ viens.
+
+ (Plaçant deux sentinelles, l'une à la porte à
+
+ droite, l'autre à la porle à gauche.) Toi, garde cette
+
+ porte, ei toi cette autre. Que le reste de tes dragons
+
+ veille autour de la maison et contienne les mutins jus
+
+ qu'à mon retour.
+
+ (Il sort.)
+
+ SCÈNE XIII.
+
+
+ Les Mêmes, exceplé LASALLE.
+ (Consternation générale. Les deux dragons Philippe
+
+ et Robert montent la garde de long en large au fond
+
+ du théâtre.)
+
+ LOUISE.
+
+ Reprenez courage, mon parrain, j'avais vu entrer
+
+ le brigadier et ses dragons ; je me suis douté de suite
+
+ qu'on en voulait à mon cher André, j'ai ameuté tout le
+
+ village… Tenez ! les entendez-vous, conime ils crient ;
+
+ (Le tumulte recommence.)
+
+ ANDRÉ.
+
+ Petite révolutionnaire !
+
+ (à part.) Je ne sais pourquoi
+
+ j'ai dans l'idée…
+
+ (Haut.) Emilie, ne pleurez pas ?
+
+ { enez ! peut-être leur échapperai-je encore une fois.
+ J'ai toujours eu du bonheur.
+
+ (Le bruit cesse.)
+
+ BERNARD, À Émilie.
+
+ Il n'y a plus aucun espoir de le sauver, mademoi
+
+ selle ?
+
+ 30
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ ÉMILIE, avec douleur.
+
+ Aucun.
+
+ LOUISE, à part.
+
+ Ce monsieur Cyprien a l'air d'un brave homme… Il
+ faut que je cause un peu avec lui. (Haut.) Eh ! bien,
+
+ monsieur Cyprien, vous m'avez reconnue, n'est-ce
+
+ pas ?
+
+ CYPRIEN.
+
+ Est-ce que ça s'oublie un joli petit minois de patriote
+
+ comme le vôtre ?
+
+ LOUISE.
+
+ Vous êtes bien honnête, monsieur Cyprien, et sur
+
+ tout bien bon… Oh ! oui, vous êtes bien bon.
+
+ Du tout.
+
+ CYPRIEN.
+
+ LOUISE.
+
+ Si fait ; la première fois que je vous ai vu, j'ai
+
+ deviné ça tont de suite ; malgré votre air méchant et
+
+ vos grandes moustaches, j'ai dit :
+
+ C'est un brave
+
+ homme que monsieur Cyprien.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Ah ! vous avez dit ça ?
+
+ LOUISE.
+
+ Certainement, et je suis bien sûre que vous n'êtes
+
+ pas content de ce qu'on vous fait faire aujourd'hui.
+
+ Ma foi, non.
+
+ CYPRIEN.
+
+ LOUISE.
+
+ Et si vous connaissiez mon parrain, vous en seriez
+
+ bien plus fâché encore… c'est un si bon garçon, allez ;
+ dans votre genre.
+
+ Hum ! petite engeoleuse.
+
+ CYPRIEN.
+
+ ACTE I, SCENE XIII.
+
+ 31
+
+ LOUISE.
+
+ Non, parole d'honneur, je ve dis jamais que ce que
+
+ je pense.
+
+ CYPRIEN.
+
+ L'fait est qu'c'est dommage d'arrêter un bon enfant
+
+ comme celui-là.
+
+ LOUISE.
+
+ Et puis il a tant de talens. Je parie que, si vous con.
+
+ naissiez ses cbansons…
+
+ CYPRIEN
+
+ Ah ! si elles ressemblaient toutes…
+
+ A laquelle ?
+
+ LOUISE.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Elle est bien jolie celle-là ; mais elle n'est pas de lui,
+
+ elle ne peut pas être de lui.
+
+ LOUISE.
+
+ Pourquoi ? nous allons voir, dites-donc, mon par
+
+ rain.
+
+ Quoi ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Qu'est-ce qu'elle fait ?
+
+ LOUISE.
+
+ Le brigadier a quelque chose à vous dire.
+
+ A moi !
+
+ Mais non.
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN.
+
+ LOUISE.
+
+ Je vous dis
+
+ que si… allons, ne vous gènez pas avec
+
+ mon parrain : c'est un bon enfant, allez.
+
+ 32
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Parlez.
+
+ Voici le fait.
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN
+
+ (Emilie, Bernard, Thérèse, André et Louise,
+
+ se
+
+ groupent autour de lui.)
+
+ Monsieur André Bernard, je ne vous connais pas ;
+
+ mais il me semble que j'ai vu volre nom quelque part.
+
+ Mon nom !
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Oui, au bas d'une chanson imprimée que nous chan
+
+ tions à l'armée de Sambre-et-Meuse. Oh !
+
+ la jolie
+
+ chanson !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Vous la rappelez-vous ?
+
+ CYPRIEN.
+
+ Atlendez donc… sur cet air là.
+
+ (Il fredonne l'air.)
+
+ Ah ! oui, j'y suis.
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Vous la connaissez ?
+
+ Elle est de moi.
+
+ De vous ?
+
+ Certainement.
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN.
+
+ ANDRÉ.
+
+ CYPRIEN
+
+ Ah ça ! comment se fait-il qu'aujourd'hui vous soyez
+
+ condamné ?
+
+ ACTE I, SCENE XIII.
+
+ 33
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! comment ? C'est que depuis ce temps-là j'en ai
+
+ fait d'autres.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Vous n'avez donc plus les mêmes idées ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ Si fait… Ce n'est pas moi qui ai changé ; ce sont
+
+ eux,
+
+ c'est M. Lasalle et tous ceux qui lui ressemblent.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Oui, je vous comprends.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Mais tenez, ne parlons pas de ces choses-là.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Non, suffit… Quoi ! vraiment vous êtes l'auteur…
+
+ C'est bien, c'est très bien, jeune homme. (Haut aux
+
+ deux sentinelles.) Dites donc, camarades, vous ne
+
+ savez pas, vous vous rappelez cette fameuse chanson
+
+ que nous chantions à l'armée de Sambre-et-Meuse,
+
+ elle est de lui.
+
+ (Les deux sentinelles s'arrétent en s'appuyant sur
+
+ De lui ?
+
+ En vérité ?
+
+ Pas possible !
+
+ leur sabre.)
+
+ ROBERT
+
+ PHILIPPE
+
+ ROBERT
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh ! parbleu, je vais vous la chanter ! si vous voulez,
+
+ PHILIPPE ET ROBERT.
+
+ Oui, oui, la chanson !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ça ne vous empêchera pas de faire votre faction.
+
+ 3
+
+ 34
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ C'est ça, à votre poste, tous les deux.
+
+ CYPRIEN,
+
+ (Ils retournent au fond du théâtre, et écoutent atten.
+
+ tivement.)
+
+ ANDRÉ.
+
+ Je commence, attention.
+
+ ROBERT ET PHILIPPE.
+
+ Silence ! silence !
+
+
+
+ Et répétons le refrain en chœur, morbleu !
+
+ AIR de Missolonghi. (Ballade du premier acte.)
+
+ ANDRÉ.
+ Voyez-vous, dans la plaine,
+ L'ennemi que nous cherchons ?
+
+ (Les soldats répètent.)
+
+ ANDRÉ.
+ Jusqu'à lui tout d'une haleine,
+ Il faut arriver.
+
+
+ LES SOLDATS.
+ Marchons !
+
+
+ ANDRÉ.
+ Qu'il soit encore notre frère,
+ Celui qui vient de se soustraire
+ Au glaive d'obscurs tyrans !
+ Et puisque la mort l'exile,
+ S'il nous demande un asile,
+ Soldats, ouvrons-lui nos rangs !
+ France, à ton courage,
+ Le ciel le prescrit ;
+ Guerre à qui t'outrage !
+ Paix au proscrit !
+
+
+ (Les deux soldats se sont rapprochés insensiblement, et se trouvent presque à côté des autres personnages pour répéter le refrain.)
+
+ PHILIPPE
+
+ C'est bien.
+
+ ROBERT.
+
+ C'est très bien, n'est-ce pas, brigadier ?
+
+ CYPRIEN.
+
+ Certainement… mais voulez-vous me faire le plaisir
+
+ de retourner là bas ?
+
+ PHILIPPE ET ROBERT
+
+ Oui, oui, brigadier.
+
+ (Ils se remettent en faction.)
+
+ CYPRIEN.
+
+ Eh bien ! tenez, vous ne croiriez pas, madame…
+
+ cette chanson… avec elle, l'armée de Sambre-et-Meuse
+
+ a sauvé plus d'un pauvre diable ! Oh ! c'est qu'à l'armée
+
+ de Sambre-et-Meuse, voyez-vous, moi-même un jour,
+
+ il m'en tombe un sous la main. Veux-tu rester avec
+
+ nous ? que j' lui dis ; non, je serais découvert. Eh bien !
+
+ vite aux avant-postes, file, et ne reviens plus.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Ah ! monsieur… cette action…
+
+ LOUISE.
+
+ Vous la referiez encore, n'est-ce pas, monsieur
+
+ Cyprien, si ça se retrouvait ?
+
+ CYPRIEN
+
+ Ah ! ne parlons pas de ça : aujourd'hui, c'est im
+
+ possible.
+
+ TOUS, excepté André.
+
+ M. Cyprien !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Au second couplet ! maintenant.
+
+ 36
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ PHILIPPE ET ROBERT, du fond.
+
+ Oui, le second couplet !
+
+ (Ils s'arrêtent de nouveau.)
+
+ LOUISE, bas.
+
+ Mon parrain, celle fenêtre donne sur le parc ;
+
+ de ce
+
+ côté-là, on n'a pas mis de sentinelle.
+
+ Tais-toi.
+
+ ANDRÉ, bas.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Allons donc, le second couplet.
+
+ Voilà ! voilà !
+
+
+ Même air.
+
+ ANDRÉ.
+ Voyez-vous, dans la plaine,
+ L'ennemi que nous cherchons ?
+
+ (Les soldats répètent.)
+
+ ANDRÉ.
+ Jusqu'à lui, tout d'une haleine,
+ Il faut arriver.
+
+
+ LES SOLDATS.
+ Marchons !
+
+
+ ANDRÉ.
+ De nos fatales querelles,
+ De nos discordes cruelles,
+ Éteignons le souvenir !
+ Quand l'étranger nous menace,
+ Il faut, pour lui faire face,
+ Nous serrer et nous unir.
+ France, à ton courage,
+ Le ciel le prescrit,
+ Guerre à qui t'outrage !
+ Paix au proscrit !
+
+
+ (Même jeu de scène qu'au couplet précédent. Les deux soldats, lorsqu'ils chantent le refrain, sont sur la même ligne que les autres personnages. A la fin du couplet, Cyprien va s'asseoir sur le devant de la scène. Le refrain, cette fois, a été chanté beaucoup plus vivement.)
+
+ CYPRIEN, semblant réfléchir.
+
+ Ah ! que le diable emporte ce Lasalle de m'avoir
+
+ donné une pareille commission !
+ ROBERT
+
+ Dis donc, Philippe ?
+
+ Eb bien ! Robert ?
+
+ PHILIPPE.
+
+ ROBERT.
+
+ Ça te fait-il le même effet qu'à moi ?
+
+ Je crois qu'oui.
+
+ PHILIPPE.
+
+ ROBERT
+
+ Il me semble qu'il n'y a qu'un brave homme qui
+
+ puisse faire une chanson comme celle-là.
+
+ Et moi aussi.
+
+ PHILIPPE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Merci, mes braves.
+
+ (Il leur serre la main.)
+
+ LOUISE, à Philippe et à Robert.
+
+ Et cependant il est condamné à mort.
+
+ PHILIPPE et ROBERT.
+
+ A mort !
+
+ Oh ! mon Dieu, oui.
+
+ ANDRÉ.
+
+ 38
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ C'est affreux.
+
+ C'est abominable.
+
+ N'est-ce pas ?
+
+ PHILIPPE.
+
+ ROBERT.
+
+ LOUISE.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Si nous ne parvenons à le sauver…
+
+ ROBERT.
+
+ Le sauver ! comment ?
+
+ CYPRIEN, écoutant.
+
+ Hein ! qu'est-ce qu'ils disent ?
+ ÉMILIE.
+
+ Mes amis, je vous en conjure.
+
+ BERNARD.
+
+ Si vous le vouliez, peut-être…
+
+ Oh ! oui.
+
+ Ça ne se peut pas.
+
+ Non, non.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ ROBERT.
+
+ PHILIPPE.
+
+ CYPRIEN, d'un air désespéré.
+
+ J'en réponds sur ma tête, ah ! le pauvre jeune
+
+ homme !
+
+ (Il appuie sa tête entre ses deux mains, d'un air
+
+ désespéré.)
+
+ ANDRÉ.
+
+ Allons, mes amis, ce que vous dites là est inutile ;
+
+ ces braves gens ont une consigne, il faut bien qu'ils
+ l'exécutent.
+
+ ROBERT
+
+ Certainement… je suis chargé de garder cette porte.
+
+ ACTE I, SCENE XIII.
+
+ 39
+
+ Et moi celle-ci.
+
+ PHILIPPE
+
+ LOUISE, leur parlant bas.
+
+ Mais s'il y avait pour sortir un autre endroit dont
+
+ on ne vous a pas parlé ?
+
+ PHILIPPE.
+
+ Ah ! un autre endroit…
+
+ ROBERT.
+
+ Alors, ne nous en dites rien.
+
+ Non.
+
+ LOUISE.
+
+ ROBERT.
+
+ Et arrangez-vous avec le brigadier, si vous le pou
+
+ vez,
+
+ Le brigadier ?
+
+ Où est-il donc ?
+
+ TOUS.
+
+ PHILIPPE
+
+ LOUISE.
+
+ Là bas ! tiens, est-ce qu'il dormirait, par hasard ?
+
+ CYPRIEN, soulevant sa tête de manière à étre vu ser
+
+ lement du public.
+
+ Non.
+
+ Oui, il dort.
+
+ TOUS
+
+ ROBERT.
+
+ En ce cas, je retourne à mon poste.
+
+ Et moi aussi.
+
+ PHILIPPE
+
+ ROBERT.
+
+ Et je n'en bouge plus.
+
+ PHILIPPE.
+
+ Ni moi.
+
+ 40
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ (Ils se remettent à leur place, en faction. Bernard,
+
+ Thérèse et Louise conduisent André vers la fe
+
+ nétre.
+
+ Même air.
+
+ ANDRÉ, à voix basse, en s'adressant aux deux sentinelles qui lui tournent le dos.
+
+ Voyez-vous dans la plaine,
+ L'ennemi que nous cherchons ?
+ L'orchestre seul répète l'air de ces deux vers.)
+ Jusqu'à lui, tout d'une haleine,
+ Il faut arriver.
+ (L'orchestre seul.)
+ Et moi, pauvre et solitaire,
+ Moi qui cherche un coin de terre,
+ Pourriez-vous me repousser ?
+ Sentinelles que j'esquive,
+ Ah ! ne criez pas : Qui vive !
+ Laissez le proscrit passer.
+
+
+ (Il marche vers la fenêtre. Les deux sentinelles s'arrêtent au milieu de leur faction, toujours en lui tournant le dos.)
+
+
+ ROBERT.
+
+ Philippe !
+
+ PHILIPPE.
+
+ Robert !
+
+ ROBERT
+
+ Vois-tu ?
+
+ PHILIPPE
+
+ Oui.
+ ACTE I, SCENE XIII.
+
+ 41
+
+ Il marche vers la fenêtre.
+
+ ROBERT
+
+ Eh bien ?
+
+ PHILIPPE.
+
+ ROBERT.
+
+ Eh bien ! je garde ma porte.
+
+ PHILIPPE.
+
+ Et moi la mienne.
+
+ (Ils reprennent leur faction.)
+
+
+ reprenant l'air.
+
+ ANDRÉ.
+ France, à ton courage,
+ Le ciel le prescrit,
+ Guerre à qui t'outrage !
+ Paix au proscrit !
+
+
+ CHŒUR, à voix basse.
+ France, à ton courage, etc.
+
+
+
+
+ ANDRÉ.
+
+ Adieu, mes amis… non père, mamère, chère Émi
+ lie… souvenez-vous de vos sermens. Louise, embrasse
+
+ moi.
+
+ Oui, mon parrain.
+
+ Adieu !
+
+ Adieu !
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ TOUS.
+
+ (André, monté sur la fenêtre, envoie un baiser d'adieu
+
+ à tout le monde. Cyprien lève la tête, et fait un
+
+ mouvement pour marcher vers eux.)
+
+ LOUISE, à Cyprien.
+
+ Ah ! monsieur Cyprien, au nom du ciel…
+
+ 42
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ CYPRIEN, se laissant tomber sur sa chaise.
+
+ Rassurez-vous, mon enfant, je dors.
+
+ (André saute par la fenêtre. L'orchestre exécute en
+
+ sourdine l'air de la ballade. Bernard, Émilie et
+
+ Thérèse sont à genoux. Cyprien a toujours les yeux
+
+ fermés. Les deux soldats continuent leur faction au
+
+ fond du théâtre. La toile tombe.)
+
+ FIN DU PREMIER ACTE.
+
+ 0. 09
+
+ .
+
+
+ ACTE SECOND.
+
+ 1794.
+
+ Un parc ; au fond, une grille donnant sur la campagne.
+
+ A la droite du public, sur le second plan, quelques
+
+ degrés conduisant à un pavillon :
+
+
+
+ SCÈNE PREMIÈRE.
+
+
+
+ THÉRÈSE, ÉMILIE, BERNARD.
+
+ (Au lever du rideau, Émilie est assise entre les deux
+
+ vieillards, et achève de leur lire une lettre.)
+
+ ÉMILIE,
+
+ lisant.
+
+ C
+
+ Adieu, mon père, ma bonne mère, et vous aussi,
+
+ Émilie, vous à qui je pense toujours sur la terre
+
+ «
+
+ d'exil… »
+
+ ACTE II, SCENE II.
+
+ 43
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Pauvre garçon ! (Essuyant une larme.) Que je le
+
+ plains ! ah ! pourquoi faut-il…
+
+ BERNARD.
+
+ De grace, madame, la lettre est-elle finie ?
+
+ ÉMILIE.
+
+ Non. (Elle reprend sa lecture.) « Je vous le répète,
+
+ « mes bons amis, ma philosophie est épuisée… je n'ai
+ « plus assez de force dans l'ame pour supporter votre
+
+ « absence. »
+
+ Je le crois.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ Deux années enlières !
+
+ ÉMILIE, continuant.
+
+ « Et, dussé-je exposer mes jours, avant peu, je re
+
+ « viendrai… » (Elle s'interrompt.) O ciel ! imprudent !
+
+ Toujours le même.
+
+ Je tremble,
+
+ BERNARD
+
+ THÉRÈSE.
+
+ (Ici on frappe à la porte. Thérèse va ouvrir, et revient
+
+ aussitôt, tenant un papier à la main.)
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Un billet de logement ! pour un capitaine de dra
+
+ gons ! … Entrez, entrez, capitaine.
+
+
+
+ SCÈNE II.
+
+
+
+ Les MÊMES, CYPRIEN, en uniforme de capitaine.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Bonjour, la maman… Vous ne me reconnaissez pas ?
+
+ 44
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Non,
+
+ THÉRÈSE.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Il y a deux ans que je suis déjà venu par ici, sans
+
+ compter que j'avais alors une mauvaise commission à
+
+ remplir.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Qu'entends-je ? il y a deux ans…
+
+ CYPRIEN.
+
+ Tenez, voilà une belle demoiselle qui a plus de mé
+
+ moire que vous… Avez-vous des nouvelles de ce brave
+
+ jeune homme, vous savez bien… un poète… un au
+
+ teur de chansons ? …
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Mon fils ! … attendez donc ? Ne vous appelez-vous
+
+ pas…
+
+ Cyprien.
+
+ Sans doute.
+
+ PERNARD.
+
+ CYPRIEN.
+
+ BERNARD
+
+ Vous étiez alors brigadier,
+
+ CYPRIEN.
+
+ Eh ! mon Dieu, oui, mais dans ce temps ci, nous
+
+ avançons rapidement à l'armée, et me voilà capi
+
+ taine… Eh bien, pour en revenir à ce que nous disions,
+
+ notre proscrit, André Bernard, qu'es !-il devenu ?
+ existe-t-il encore ?
+
+ Ob ! oui.
+
+ Toujours.
+
+ BERNARD.
+
+ ÉMILIE.
+
+ ACTE II, SCENE II.
+
+ 45
+
+ CYPRIEN.
+
+ Eh bien, tant mieux… Ce cher monsieur André…
+
+ je ne l'ai vu qu'une fois… mais je l'aime autant que
+
+ si je le connaissais beaucoup… Ah ! dame, s'il est
+ il y a un an, à passer la frontière, c'est un
+
+ parvenu,
+
+ peu de ma faute. Je ne dormais pas, moi, je fermais
+ lesyeux, et voilà tout.
+
+ Oui, Louise nous a raconté…
+
+ BERNARD
+
+ Brave homme !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Tant de générosité…
+
+ CYPRIEN
+
+ Du tout, du tout, il n'y avait rien de généreux de
+
+ ma part ; c'était plus fort que moi, sa chanson m'avait
+
+ subjugué. Je l'ai sauvé… je le ferais encore, s'il le fal= !
+
+ laſt… quoiqu'on ait voulu me le faire payer cher.
+
+ Comment ?
+
+ TOUS.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Oui, celui qui commandait alors cette belle expé
+
+ dition, monsieur Lasalle…
+
+ BERNARD et Thérèse.
+
+ Monsieur Lasalle !
+
+ (Émilie fait un mouvement de chagrin.)
+
+ Ah ! c'est lui ! …
+
+ ÉMILIE
+
+ CYPRIEN
+
+ Oui, c'est lui qui a voulu me faire condamner à
+
+ mort, parce que j'étais trop sensible au pouvoir de la
+
+ musique. Heureusement que, le jour même où l'on
+
+ voulait m'arrêter, on devait livrer une bataille, et
+
+ 46
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ comme, Dieu merci, j'ai eu le bonheur d'enlever un
+
+ drapeau à l'ennemi, j'ai été acquitté… Mais c'est égal,
+
+ j'ai promis de ine venger de lui, et peut-être bien que
+
+ je ne suis pas loin d'en trouver l'occasion.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Que dites-vous, ô ciel !
+
+ BERNARD.
+
+ Allons, allons, monsieur Cyprien…
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Ne parlons pas de ces choses là.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Suffit, suffit, je sais ce que je veux dire… Enfin,
+
+ je ne peux pas aimer cet homme là, il ne sera peut
+
+ être pas toujours à même de faire du mal aux autres
+
+ sans qu'on lui en fasse… J'attends des nouvelles de
+
+ Paris… Il a dû se passer là bas quelque chose de nou
+
+ veau, et monsieur Lasalle ! … n'a qu'à bien se tenir…
+
+ quant à moi, je veux bien que le diable m'emporte…
+
+ ÉMILIE,
+
+ Je vous en prie, changeons d'entretien.
+
+ BERNARD et Thérèse, d'un air suppliant.
+
+ Oui, oui, changeons d'entretien.
+
+ BERNARD, bas à Thérèse, en regardant Émilie.
+
+ Pauvre jeune femme !
+
+ THÉRÈSE, bas.
+
+ Elle méritait un meilleur sort !
+
+ (Pendant ce temps, Cyprien est allé dans un coin du
+
+ théâtre se débarrasser de son sabre et de son casque.)
+
+ ACTE II, SCENE III.
+
+ 47
+
+ SCÈNE III.
+
+
+ LES MÊMES, LOUISE.
+
+ (On la voit au fond du théâtre ; elle marche lente
+
+ ment, tenant à la main un petit portefeuille rouge
+
+ qu'elle semble lire attentivement. Cyprien se re
+
+ tourne et l'aperçoit.)
+
+ CYPRIEN
+
+ Eh ! parbleu, voilà encore une figure de connais
+
+ sance ; eh oui, c'est la jolie fille qui il y a deux ans
+
+ avait soulevé tout le village contre moi et mes dragons.
+
+ C'est vrai.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Diable ! mais ce n'est plus une petite fille à présent,
+
+ c'est une demoiselle.
+
+ BERNARD.
+
+ Oh ! mon Dieu, oui, depuis qu'elle lit toute la jour
+
+ née les chansons de son parrain, elle n'est plus la
+ même.
+
+ Les chansons !
+
+ CYPRIEN
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Elle ne pense qu'à ça.
+
+ BERNARD
+
+ Elle en est comme une folle.
+
+ Thérèse.
+
+ Si nous n'allons pas l'interrompre, elle en a comme
+
+ ça pour toute la journée.
+
+ 48
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ CYPRIEN
+
+ Eh ! bien, pourquoi l'interrompre, puisque cela lui
+
+ fait tant de plaisir… au contraire, écoutons un in
+ stant.
+
+ (Il remonte la scène avec eux.)
+
+
+
+ Oui, j'ai parcouru cent fois ces couplets ; je les sais par cœur… et je les relis toujours : c'est de son écriture : L'absence et le retour… Ah ! le retour.
+
+
+ Air du troisième acte de Gillette. (M. Béancourt.)
+
+ LOUISE. Elle a descendu le théâtre sans les voir.
+ Il faut partir, on me l'ordonne,
+ Loin d'ici je porte mes pas ;
+ À jamais l'espoir m'abandonne …
+ Amis, vous reverrai-je, hélas !
+ Douleur extrême ! (bis.)
+ Loin du beau ciel que j'aime,
+ Faut-il long-temps souffrir ?
+ Ah ! vaudrait mieux mourir !
+ Non, gardons l'espérance ;
+ De retour,
+ Un seul jour,
+ Puissé-je voir la France,
+ Et mourir
+ De plaisir.
+
+
+
+ CYPRIEN.
+
+ Très bien, très bien, ma jolie demoiselle.
+
+ LOUISE.
+
+ Hein, qu'est-ce que c'est ? Ah ! ça, mais je ne me
+
+ trompe pas, c'est bien vous, monsieur Cyprien.
+
+ Moi-même.
+
+ CYPRIEN.
+
+ ACTE II, SCENE III.
+
+ 49
+
+ LOUISE.
+
+ Quel bonheur ! quel plaisir de vous revoir… ah ! je
+
+ n'ai
+
+ pas
+
+ oublié tout ce que nous vous devons… mais
+
+ peut-être avez-vous fait une longue route ? Avez-vous
+
+ soif ? Voulez-vous déjeûner ?
+
+ CYPRIEN.
+
+ Non, non, grand merci, je ne vous demande qu'une
+
+ chose.
+
+ Laquelle ?
+
+ LOUISE.
+
+ CYPRJEN.
+
+ Le second couplet de ce que vous chantiez tout à
+
+ l'heure.
+
+ LOUISE
+
+ Oh ! tout de suite… pour les chansons de mon par
+
+ . rain, je ne me fais jamais prier d'abord.
+
+ CYPRIEN.
+
+ A la bonne heure.
+
+ (Tout le monde se groupe autour de Louise, qui chante le second couplet.)
+
+ Même air.
+
+ C'en est fait, des mains étrangères,
+ Loin du sol où fut mon berceau,
+ Loin de la tombe de mes pères,
+ Vont bientôt creuser mon tombeau !
+ Douleur extrême !
+ Adieu, tous ceux que j'aime.
+ Ah ! c'était trop souffrir ;
+ Loin d'eux il faut mourir !
+
+ Ici, André, en costume de roulier, paraît sur une éminence placée au fond du théâtre, descend rapidement, et vient chanter avec enthousiasme sur le seuil de la grille.)
+
+ Non, gardons l'espérance ;
+ De retour,
+ Un seul jour,
+ Je puis revoir la France,
+ Et mourir
+ De plaisir !
+
+
+ (Mouvement général.)
+
+ TOUS.
+
+ André ! monsieur André ! …
+
+ LOUISE
+
+ Mon parrain !
+
+
+ TOUS.
+
+ C'est lui ! c'est bien lui !
+
+ (Tout le monde s'empresse autour de lui.)
+
+
+
+ SCÈNE IV.
+
+
+
+ LES MÊMES, ANDRÉ.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ma mère, ma petite filleule… chère Émilie ! …
+
+ CYPRIEN.
+
+ Et moi, monsieur André Bernard, me reconnaissez
+
+ vous ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ Cerlainement, mon vieux camarade. Ah ! ça fait du
+
+ bien ! … après deux ans d'absence, de revoir tous ses
+
+ amis.
+
+
+
+ 51
+
+
+ SCÈNE V.
+
+
+
+ LES MÊMES, excepté CYPRIEN.
+ ROBERT, paraît sur l'éminence ; il appelle.
+
+ Mon capitaine ! mon capitaine !
+
+ CYPRIEN.
+
+ Ah ! c'est un de mes dragons.
+
+ THOMAS, aussi sur l'éminence.
+
+ Monsieur Bernard ! madame Thérèse !
+
+ (Les trois personnages sont arrivés à la fenétre, qui
+
+ est restée ouverte.
+
+ ROBERT
+
+ Mon capitaine, nous attendons vos ordres.
+
+ THOMAS.
+
+ il y a du nouveau dans le village.
+
+ ROBERT
+
+ Il vient d'arriver un envoyé du gouvernement.
+
+ THOMAS.
+
+ On crie, on s'assemble pour apprendre les nou
+
+ velles.
+
+ Venez, venez, mon capitaine.
+
+ ROBERT.
+
+ Je te suis.
+
+ CYPRIEN
+
+ THOMAS.
+
+ On a dit aussi qu'on a vu revenir monsieur Lasalle.
+
+ TOUS, avec une expression de voix différente.
+
+ Lasalle ! monsieur Lasalle !
+
+ Grand Dieu !
+
+ ÉMILIE.
+
+ 52
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Mes amis, je ne sais encore ce qui se passe, si nous
+
+ devons espérer ou craindre. Quoi qu'il en soit, mon
+
+ sieur André, ne vous montrez pas dans le village avant
+
+ mon retour, et si vous entendez le moindre bruit, ca
+
+ chez-vous à tous les regards… Mes bons amis, ma jolie
+
+ petite demoiselle, c'est à vous que je le recommande.
+
+ LOUISE.
+
+ Oh ! soyez tranquille.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Allons, du courage ! de la prudence surtout ; Dieu
+
+ veuille que bientôt je vous rapporte d'heureuses nou
+
+ velles. Au revoir.
+
+ Au revoir.
+
+ TOUS.
+
+ (Il sort et s'éloigne avec le dragon ; tous les person
+
+ nages se regardent avec inquiétude.)
+
+ 1
+
+
+ SCÈNE VI.
+
+
+ LES MÊMES, excepté CYPRIEN.
+ THÉRÈSE,
+
+ bas.
+
+ Monsieur Lasalle est de retour !
+
+ BERNARD, bas.
+
+ Est-ce qu'il en voudrait encore aux jours de notre
+
+ pauvre André ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh bien ! qu'avez-vous donc ? … vous détournez les
+
+ yeux ! … vous ne me dites rien… Vous n'avez pas l'air
+
+ bien heureux de revoir votre fils… (A Émilie.) Votre
+
+ ami…
+
+ ACTE II, SCENE VI.
+
+ 53
+
+ BERNARD, Thérèse et LOUISE.
+
+ Oh ! si ! …
+
+ ANDRÉ, à Émilie.
+
+ Émilie,
+
+ afflige ?
+
+ vous pleurez ! Est-ce mon retour qui vous
+
+ ÉMILIE.
+
+ Oh ! pouvez-vous le croire ? … Mais à peine êtes-vous
+
+ revenu… et déjà nos craintes, nos inquiétudes recom
+ mencent.
+
+ Oui, j'ai peur…
+
+ Et moi aussi !
+
+ Et moi, donc !
+
+ BERNARD.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ LOUISE,
+
+ ÉMILIE.
+
+ Comment avez-vous osé, à travers tant de périls, au
+
+ milieu de tant d'ennemis…
+
+ ANDRÉ
+
+ C'est vrai… j'en conviens… J'ai tout oublié ; j'ai agi
+
+ en vrai fou, en extravagant, comme j'avais agi toute
+
+ ma vie ; mais il m'était impossible de rester un jour,
+
+ un instant de plus là bas… loin de vous, loin de mon
+
+ pays… J'étais trop malheureux… J'aime mieux souf
+
+ frir dans ma patrie, j'aime mieux les supplices, j'aime
+ mieux la mort
+
+ l'exil.
+
+ que
+
+ La mort !
+
+ TOUS.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! vous n'avez pas d'idée des tourmens, du malheur
+
+ du pauvre proscrit… pendant six mois, poursuivi de
+
+ ville en ville, de bourgade en bourgade, caché sous les
+ haillons de la misère, pas up asile pour reposer ma
+
+ 54
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ tête… pas un ami pour me consoler, pas une voix qui
+
+ répondît à la mienne… Eh bien ! j'avais du courage en
+
+ core pour supporter tout cela… et c'est lorsque mon
+
+ sort sembla devenir moins affreux ; c'est lorsque lout
+
+ autour de moi m'offrit une existence plus tranquille,
+
+ plus heureuse… c'est alors que je perdis toute espé
+
+ rance : oui, j'arrive enfin dans un pays hospitalier…
+
+ là, tous les habitans m'accueillent comine un frère, et
+
+ s'empressent de réunir auprès de moi tous les plaisirs,
+
+ toutes les jouissances de la vie ; leurs soins, leurs ver
+
+ tus ?
+
+ rien ne put me tenir lieu de ce qui me manquait
+
+ toujours, de ce que je regrettais malgré moi… La
+
+ France ! la France ! ma patrie ! ma famille, mes amis !
+
+ toute mon existence… ma patrie !
+
+ Cher André !
+
+ TOUS.
+
+
+
+
+ AIR de Panseron.
+
+ ANDRÉ.
+ Ils m'ont dit : l'on t'exile,
+ Nous serons tes soutiens ;
+ On t'envie un asile …
+ Nos foyers sont les tiens.
+ Oh ! non, par préférence,
+ Autant que par devoir,
+ J'ai père et mère en France,
+ Et je veux les revoir.
+
+
+
+ Un vieillard et sa femme,
+ Dans leurs bras m'étouffant,
+ M'ont dit du fond de l'ame :
+ Reste, sois notre enfant.
+ Oh ! non, par préférence,
+ Autant que par devoir,
+ J'ai père et mère en France,
+ Et je veux les revoir.
+
+ BERNARD.
+
+ Mon ami !
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Mon fils !
+
+ ANDRÉ, se retournant vers Émilie.
+
+ Et puis, ce n'est pas tout.
+
+
+
+ Même air.
+
+ ANDRÉ, se retournant vers Émilie.
+ Une vierge jolie,
+ D'une voix qui tremblait,
+ De rester me supplie,
+ Et son cil noir brillait.
+ Oh ! non, par préférence,
+ Autant que par devoir,
+ J'ai mes amours en France,
+ Et je veux les revoir.
+
+
+
+ N'est-ce pas, Émilie, j'ai bien fait de revenir ?
+
+ ÉMILIE, pleurant.
+
+ Hélas !
+
+ LOUISE, pleurant aussi.
+
+ Certainement, vous avez bien fait, mon parrain.
+
+ ANDRé, à demi-voix.
+
+ Chère Émilie, plus que jamais je vous aime, je
+
+ vous adore.
+
+ ÉMILIE, pleurant.
+
+ André, mon ami… ah ! … je suis bien malheureuse !
+
+ (Elle s'éloigne d'un air désespéré. Louise baissejles
+
+ yeux ; les deux vieillards se délournent avec peine ;
+
+ André regarde sortir Emilie. Moment de silence.)
+
+ 56
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+
+ SCÈNE VII.
+
+
+
+ Les MÊMES, excepté ÉMILIE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Elle pleure… elle me fuit… que dois-je croire ? …
+
+ inon père, ma mère, je tremble de vous interroger…
+
+ Mon
+
+ pauvre André ! …
+
+ THÉRÈSE.
+
+ BERNARD.
+
+ Non, je n'oserai jamais…
+
+ THÉRÈse.
+
+ Ni moi non plus…
+
+ LOUISE, s'approchant d'André, toujours baissant les
+
+ Pourquoi donc ? j'oserai moi…
+
+ yeux.
+
+ BERNARD ET THÉRÈse.
+
+ Louise…
+
+ LOUISE,
+
+ C'est cruel à dire, c'est vrai, mais enfin, lôt ou tard,
+
+ il faudra bien que mon parrain sache à quoi s'en tenir.
+
+ Parle !
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Mademoiselle de Solanges…
+
+ Eh bien !
+
+ Depuis trois mois…
+
+ Enfin ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE,
+
+ ANDRÉ.
+
+ ACTE II, SCENE VII.
+
+ 57
+
+ Elle est mariée.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Mariée ! … Émilie ! … ah ! Grand Dieu ! …
+
+ LOUISE.
+
+ Mon parrain, ne vousmettez pas en colère, j'ai peul
+
+ être eu tort de vous le dire…
+
+ ANDRÉ.
+
+ Mariée… tant de tendresse dans ses derniers adieux,
+
+ tant de sermens de constance ! … et mariée ! … l'ingrate ! …
+
+ la perfide ! …
+
+ LOUISE.
+
+ Ah ! ne l'accusez pas, si vous saviez…
+
+ Tais-toi.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Non, quand vous devriez m'en vouloir, je parlerai,
+
+ je vous dirai qu'elle n'a jamais cessé de mériter toute
+
+ votre estime, tout votre respect… Oui, mon parrain,
+
+ je la plains et je l'admire. Son père, M. de Solanges,
+
+ proscrit, condamné comme vous, allait mourir sur
+
+ l'échafaud. Un seul homme, un seul, pouvait lui sauver
+
+ la vie, l'aider à sortir de prison, à fuiren pays étranger ;
+
+ cet homme depuis long-temps aimait mademoiselle
+
+ Emilie… Son père, avant de partir, lui fit jurer qu'elle
+
+ prendrait pour époux son libérateur… car c'était ainsi
+
+ qu'il l'appelait.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Son libérateur ! quel est-il ? réponds-moi, je le veux…
+
+ Eh bien ! c'est…
+
+ LOUISE.
+
+ 58
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+
+
+ SCÈNE VIII.
+
+
+
+ Les mêmES, UN DOMESTIQUE.
+
+ LE DOMESTIQUE.
+
+ Une lettre pour madame Lasalle.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Qu'entends-je ?
+ (Louise indique au domestique l'endroit par ou
+
+ Émilie vient de sortir.)
+
+ ANDRÉ, la regardant.
+
+ Émilie ! c'est elle ! …
+
+ (Louise fait un signe de tête affirmatif. Le domestique
+
+ s'éloigne.)
+
+
+ SCÈNE IX.
+
+
+
+ LES MÊMES, excepté LE DOMESTIQUE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Mon plus cruel ennemi ! … mon persécuteurl… elle
+
+ est son épouse ! … malheur, malheur à lui !
+
+ THÉRÈSE ET BERNARD.
+
+ Mon ami… mon fils !
+
+ Laissez-moi…
+
+ Mon parrain !
+
+ Tais-toi.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Va, crois-moi, mon pauvre garçon…
+
+ ACTE II, SCENE X.
+
+ 59
+
+ BERNARD
+
+ Il faut tâcher de perdre le souvenir…
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh ! mon père, ma mère, pardon ; mais dans ce
+
+ moment,
+
+ je ne puis entendre les consolations de
+
+ personne ; je veux… je désire être seul.
+
+ BERNARD.
+
+ Allons, je m'en vas.
+
+ THÉRÈSE.
+
+ Et moi aussi.
+
+ (Ils s'éloignent en le regardant avec douleur. André se
+
+ promène de long en large d'un air désespéré.)
+
+ LOUISE, à part.
+
+ Pauvre parrain ! … comme il est triste… ah ! je sais ce
+
+ que c'est que ces chagrins-là !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Hein !
+
+ que
+
+ fais-tu là ? … Que dis-tu ?
+
+ LOUISE.
+
+ Rien, rien, mon parrain.
+
+ Tais-toi, et va-t-en.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Oui, mon parrain… Cependant…
+
+ Va-t-en, te dis-je.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Oui, mon parrain… je m'en vais. (A part.) Mais je,
+
+ reviendrai.
+
+ (Elle sort.)
+
+
+
+ SCÈNE X.
+
+
+
+
+
+ ANDRÉ, seul.
+
+ Maintenant, qu'on vienne arrêter le proscrit, qu'on
+
+ le saisisse… qu'on le jette dans les fers, qu'on le livre
+
+ 60
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ à la mort… c'est la mort que je veux… où est-il, ce
+
+ Lasalle ? … que tarde-t-il donc à me dénoncer ? à me
+
+ livrer à mes bourreaux ? … c'est la mort que je veux…
+
+ Émilie ! … Grand Dieu !
+
+
+ SCÈNE XI.
+
+
+
+
+ ANDRÉ, ÉMILIE, rentrant avec le domestique.
+
+ ÉMILIE, au domestique.
+
+ Allez, dites-lui que je suis prête à le suivre.
+
+ (Le domestique sort.)
+
+ ANDRÉ.
+
+ A le suivre ! … elle approche… que va-t-elle me
+
+ dire ?
+
+ Monsieur André, je viens vous faire mes adieux.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Vos adieux !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Oui, je pars,
+
+ c'est à mon tour de m'exiler.
+
+ Vous, madame !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Il le faut… cette lettre de mon époux…
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! de votre époux…
+
+ ÉMILIE.
+
+ Il faut fuir, c'est notre seule, notre dernière res
+
+ source… Depuis le neuf thermidor, tout a changé de
+
+ face… Puissant, il y a quelques jours, il est renversé
+ aujourd'hui. Ceux qu'il proscrivait triomphent à leur
+
+ ACTE 11, SCENE XI.
+
+ 61
+
+ lour, et ce sont eux peut-être qui vont devenir ses per
+ sécuteurs.
+
+ Ah ! … je suis vengé !
+
+ ANDRÉ.
+
+ Monsieur…
+
+ ÉMILIE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Depuis deux années entières, cet homme a fait le
+
+ malbeur de ma vie… c'est à lui que j'ai dû les tour
+
+ mens de l'absence, de l'exil… c'est lui, c'est lui qui
+ m'a ravi votre amour…
+
+ ÉMILIE.
+
+ Arrêtez, au nom du ciel…, arrêtez ! …
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! maintenant sans doute, maintenant que vous
+
+ êtes son épouse, ce mot est criminel dans ma bouche…
+
+ eh ! bien, soit, vous ne l'entendrez plus… je ne vous
+
+ ferai point de reproches : entre votre père et le pauvre
+
+ proscrit, vous ne pouviez balancer… votre conduite a
+
+ été noble, généreuse… mais lui, mais votre époux ! …
+
+ il a mérité toute ma baine, toute ma vengeance… il est
+
+ proscrit à son tour… eh ! bien, tant mieux… que je dé
+
+ couvre sa retraite… et je lui rendrai tout le mal qu'il a
+ pu me faire.
+
+ Non, monsieur, non, je ne le crois pas, et, s'il le
+
+ ÉMILIE.
+
+ fallait même, je compterais sur vous pour sauver ses
+
+ jours.
+
+ Sur moi !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Il va fuir… il m'attend à l'entrée du parc ; le valet
+
+ qui m'a remis cette lettre doit venir me chercher, quand
+
+ 62
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ tout sera prêt pour son départ ; je le suivrai… mais,
+ s'il était arrêté dans sa fuite, si un mot de
+
+ de
+
+ vous,
+
+ vous qui êtes aimé de tous ses ennemis, pouvait l'arra
+ cher à leur fureur, vous le diriez, n'est-il
+
+ vrai ?
+
+ pas
+
+ Non,
+
+ madame.
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Eh bien ! vous me livreriez donc avec lui ? … Quel
+
+ que soit son sort, je le partagerai.
+
+ Vous l'aimez !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE.
+
+ Il a reçu mes sermens entre les mains de mon père.
+ Ces sermens, je les tiendrai… je remplirai tous mes
+
+ devoirs ; sa destinée et la mienne sont désormais insé
+
+ parables.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Vous l'aimez ! … et moi, malheureux ! … et moi…
+ n'ai-je pas aussi des sermens à réclamer. Il y a deux
+ ans, le jour de mon départ pour l'exil.
+
+ Ah ! monsieur.
+
+ ÉMILIE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Vous l'avez oublié, n'est-ce pas ? Le pauvre André
+ n'est plus rien pour vous ? Mon désespoir, mes larmes,
+
+ que vous importe ! Heureuse d'être l'épouse de mon
+ persécuteur…
+
+ Heureuse !
+
+ ÉMILIE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Eh bien ! je l'épargnerai puisque vous le voulez,
+
+ puisqu'il vous est si cher… S'il le faut, je le protégerai
+ dans sa fuite. Vous voyez, madame, vous voyez que
+
+ je n'étais pas indigne de l'amour que vous m'aviez juré.
+
+ MUUATU CALL.
+
+ Ab ! vous me percez le
+
+ cour.
+
+ ÉMILIE
+
+ ANDRÉ.
+
+ Émilie, vous pleurez !
+
+ ÉMILIE.
+
+ Moi… oui… je pleure… au moment de quitter pour
+
+ toujours ma patrie, mes amis.
+
+
+
+ SCÈNE XII.
+
+
+
+
+
+ Les Mêmes, LE DOMESTIQUE.
+
+ (Ici le domestique de Lasalle entre en scène.)
+
+ ÉMILIE.
+
+ Mais il faut parlir, je compte sur votre promesse,
+
+ n'est-ce pas ? Que l'occasion s'en présente, et vous sau
+
+ verez les jours de mon époux.
+
+ Oui, madame.
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE, lui serrant la main.
+
+ Adieu pour jamais !
+
+ Pour jamais !
+
+ ANDRÉ.
+
+ ÉMILIE, à part, en sortant.
+
+ Ah ! je l'aimerai toute ma vie.
+
+ (Elle s'éloigne précipitamment avec le domestique.)
+
+ 64
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+
+
+ SCÈNE XIII.
+
+
+ ANDRÉ, puis LOUISE.
+ ANDRÉ.
+
+ Je ne la verrai plus ! malheur ! malheur… Mainte
+
+ mant, tout est fini pour moi.
+
+ LOUISE, accourant du côté opposé à celui
+
+ par où Émilie
+
+ vient de sortir.
+
+ Mon parrain ! mon parrain ! vous nesavez pas… Quel
+
+ bonheur ! … le 9 thermidor… décidémentvousêtes libre,
+
+ vous êtes sauvé !
+
+ Tais-toi.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE, tremblante.
+
+ Oui, mon parrain.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Je suis sauvé ! Que m'importe ! … Ah ! je regrette à
+
+ présent les proscriptions, l'absence, l'exil, la crainte
+ de l'échafaud… tout cela était mêlé d'espérance, j'étais
+
+ aimé, du moins je croyais l'être ; mais à présent, Emi
+ lie… elle vient de fuir avec son époux.
+
+ LOUISE.
+
+ Ah ! elle est partie ! …
+
+ ANDRÉ.
+
+ Pour jamais ! … conçois-tu mes tourmens, mon dés
+
+ espoir ?
+
+ Oui, je les conçois.
+
+ Ah ! j'en mourrai.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ ACTE II, SCENE XIII.
+
+ 65
+
+ Oh ! non.
+
+ LOUISE
+
+ ANDRÉ.
+
+ La vie m'est affreuse, insupportable ; pour moi plus
+
+ de bonheur… plus d'amour… rien… rien…
+
+ Mais la gloire ?
+
+ J'y renonce.
+
+ Oh ! non.
+
+ LOUISE
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Je maudis pour jamais cet instinct funeste qui m'a
+
+ fait sortir de la condition de mon père… cette ame de
+
+ poète qui me faisait rêver un avenir qui n'est plus fait
+
+ pour moi… et ce jour, ce jour même où je revois ma
+
+ patrie… où tu viens m'annoncer, toi, que je n'ai plus
+
+ rien à craindre de mes persécuteurs… eh bien, je le
+ maudis aussi.
+
+ Oh !
+
+ non,
+
+ je vous en prie.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ce que tu ne sais pas, toi, tu ne peux te figurer ce
+
+ que j'éprouye ; tu ne sais pas ce que c'est que l'amour.
+
+ Oh ! si.
+
+ Hein ! que dis-tu ?
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Oui, mon parrain, j'en ai souffert autant que vous,
+
+ peut-être.
+
+ Toi ?
+
+ ANDRÉ.
+
+ 5
+
+ 66
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ LOUISE.
+
+ Et pourtant, je ne dis pas comme vous,
+
+ je n'ai
+
+ pas
+
+ votre courage, ou plutôt votre faiblesse, je ne veux
+
+ pas mourir encore.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Mais tu n'as pas perdu toute espérance ?
+
+ LOUISE.
+
+ Si fait, depuis plus d'un an.
+ ANDRÉ.
+
+ Celui que
+
+ tu aimes est marié ?
+
+ Non.
+
+ Eh bien !
+
+ Mais…
+
+ Mais…
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Il en aime une autre.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! je comprends : il l'épousera sans doute.
+
+ Non.
+
+ Non ?
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ C'est elle qui est mariée.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! … mais puisqu'il a perdu tout espoir, ne pour
+
+ rait-on pas lui faire comprendre ? …
+
+ LOUISE.
+
+ Je ne crois pas.
+
+ ACTE II, SCENE XIII.
+
+ S'il était raisonnable.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ C'est qu'il ne l'est pas du tout, il est amoureux.
+
+ Cependant…
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Vous
+
+ vous mettez bien à sa place, n'est-ce pas ? vous
+
+ qui savez ce que c'est que l'amour, vous qui voulez
+ mourir.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! moi, moi… c'est autre chose.
+
+ Vous croyez ?
+
+ LOUISB.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Enfin, si tu me disais son nom, si je lui parlais,
+
+ si je lui prouvais qu'il a tort.
+
+ LOUISE.
+
+ Ah ! il est certain qu'il vous en croirait plus qu'un
+
+ autre.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Pourquoi ne t'aimerait-il pas ?
+
+ LOUISE.
+
+ C'est vrai, au fait, pourquoi ne m'aimerait-il pas ?
+
+ Tu es gentille.
+
+ Vous trouvez ?
+
+ Un bon cœur.
+
+ Dame !
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE
+
+ 68
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Et puis, tu l'aimes bien…
+
+ ANDRÉ.
+
+ Ah ! oui.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Enfin, tu as tout autant d'esprit qu'une autre.
+
+ Grace à vous.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! inoi… je t'ai appris à lire, à écrire, et voilà
+
+ tout.
+
+ Et puis, à penser.
+
+ Comment ?
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Oui, tenez… voilà mon maître, voilà, depuis votre
+
+ absence, ma seule consolation.
+
+ (Elle tire le petit portefeuille de sa poche de tablier.)
+
+ Mon portefeuille !
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Le recueil de vos chansons, que vous n'avez pas eu
+
+ le temps de prendre lors de votre départ. Je m'en suis
+
+ emparé, moi, je les ai lues, je les ai apprises… Oh !
+
+ mon parrain, je les ai apprises bien vite… on retient
+
+ si aisément ces choses-là ! Savez-vous, monsieur, que
+
+ \ vous avez bien du talent ?
+
+ ANDRÉ, qui ne l'écoute pas, regardant attentivement
+
+ son portefeuille.
+
+ Ces vers… en les composant, que de fois il m'est
+
+ arrivé d'oublier tous mes chagrins ! … que de fois ! …
+
+ ah ! n'y pensons plus… ce recueil est complet.
+
+ ACIE II, SCENE XIII.
+
+ 69
+
+ Pas encore.
+
+ LOUISE, à part.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Pas une idée noble, généreuse, que je puisse y ajou
+
+ ter ; plus de vers, plus de chansons.
+
+ Pourquoi ?
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Si fait, une seule, la dernière de toutes, mes adieux
+
+ à la vie.
+
+ Encore !
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oui, c'est une idée poétique…, je dois être inspiré
+
+ pour un pareil sujet.
+
+ LOUISE, à part.
+
+ Mon Dieu ! il oublie que j'avais encore à lui parler.
+
+
+
+
+ AIR de la Marraine.
+
+ ANDRÉ.
+ De mes tourmens, à mon dernier soupir,
+ Que ce crayon soit l'interprète,
+ Et puisque je dois en finir,
+ Du moins, finissons en poète.
+ Prenons ma lyre, et sous mes doigts
+ Qu'elle soit flexible et sonore.
+ Allons, une dernière fois,
+ Je puis chanter encore.
+ Même air.
+
+ LOUISE.
+ À merveille, travaillez bien ;
+ Puis, vous me lirez votre ouvrage.
+ Je suis là… mais je ne dis rien.
+ A part.)
+ Il sourit ! bravo ! du courage !
+ Pauvre André ! tes douleurs, hélas !
+ Ah ! qui plus que moi les déplore !
+ Mais de si tôt, non, tu ne mourras pas :
+ Tu peux chanter encore.
+
+
+
+ ANDRÉ, déchirant ce qu'il vient d'écrire.
+
+ Non, non… ce n'est pas cela… c'est trop faible… il
+
+ faudrait… ah ! je ne trouverai jamais ce qu'il me faut…
+
+ j'ai dans la tête les idées de vingt autres chansons, et
+
+ je ne trouve pas celle que je cherche aujourd'hui.
+
+ LOUISE, qui a suivi tous ses mouvemens.
+
+ Eh bien,
+
+ il faudra commencer par les vingt précé
+
+ dentes.
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! non, celle-ci sera la seule et la dernière.
+
+ Par exemple.
+
+ Je le jure.
+
+ Ne jurez pas.
+
+ Si fait.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Eh non, vous dis-je… vous ne renoncerez pas plus
+
+ à faire des chansons, que vous ne renoncerez à vivre…
+
+ Mais…
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Mais… mais… j'en suis sûre, vous vus rappellerez
+
+ ACTE II, SCENE XIII.
+
+ 71
+
+ que vous n'êtes pas seul au monde, que vous avez
+
+ encore autour de vous des personnes qui vous aiment,
+
+ deux vieillards qui n'ont que vous pour soutien… et
+
+ puis, vous penserez un peu à votre pays, à cette belle
+ France, que vous aimez tant, dont vous parlez sans
+
+ cesse, et qui peut réclamer un jour vos talens, votre
+ courage ; n'est-il pas vrai, monsieur, vous n'oublierez
+ rien de tout cela ?
+
+ Qu'entends-je ! ce langage ? cette expression dans sa
+
+ ANDRÉ.
+
+ pbysionomie…
+
+ LOUISE.
+
+ Vous le voyez, j'ai profité de vos leçons… je ne fais
+
+ que vous répéter ce que je vous ai cent fois entendu
+
+ dire… maintenant, pour vous décider, je ne vous par
+
+ lerai pas de moi ; vous ne tenez guère à l'amitié, aux
+
+ chagrins d'une petite fille… d'une folle…
+
+ ANDRÉ.
+
+ Oh ! peux-tu le penser ? les chagrins, je les partage,
+
+ je suis tout prêt à les adoucir, s'il est en mon pouvoir.
+
+ Voyons : celui que tu aimes, quel est-il ?
+
+ LOUISE.
+
+ Lui conseillerez-vous d'être plus raisonnable ?
+
+ Sans doute.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Et de m'aimer un peu ?
+
+ Oui.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Lui direz-vous que vous-même à sa place… pas
+ tout de suite… oh ! non… plus tard, avec le temps,
+
+ vous finirez par là.
+
+ 72
+
+ ANDRÉ LE CHANSONNIER.
+
+ Sois tranquille.
+
+ Vous le jurez ?
+
+ Je le jure.
+
+ Eh ! bien, c'est…
+
+ Parle.
+
+ C'est vous.
+
+ Moi !
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ ANDRE.
+
+ LOUISE.
+
+ Oui, c'est un secret qui me pèse depuis deux ans,
+
+ et qui m'a reudu bien malheureuse ; j'ai peut-être eu
+ tort de vous le dire… mais enfin, il n'y a pas moyen
+
+ de revenir là-dessus… Et si vous m'en voulez, dame !
+
+ tant pis… il y a trop long-temps que je souffrais sans
+
+ en parler à personne.
+
+ Pauvre Louise !
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Vous ne m'en voulez donc pas ?
+
+ Non.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Et songez-vous encore à mourir ?
+
+ Non.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Et vous ne faites pas pour toujours vos adieux à la
+
+ gloire ?
+
+ ACTE II, SCENE XIII.
+
+ 73
+
+ Non.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ Et vous remplirez le papier blanc qui reste encore
+
+ dans mon petit portefeuille ?
+
+ Oui.
+
+ ANDRÉ.
+
+ LOUISE.
+
+ A la bonne heure donc ! (A part.) J'étais bien sûre
+
+ qu'il finirait par là.
+
+
+
+
+ AIR de Téniers.
+
+ ANDRÉ.
+ Pauvre insensé, tous mes désirs de vivre
+ Sont revenus à la voix d'un enfant,
+ Et cet espoir dont mon ame s'enivre,
+ Peut-être aussi va fuir dans un instant.
+ Non, du bonheur la France voit l'aurore ;
+ Le passé doit nous servir de leçon.
+ Attends, ma muse, il n'est pas temps encore
+ De me dicter ma dernière chanson.
+ Je n'ai pas fait ma dernière chanson.
+
+
+
+ Ma chère Louise…
+
+ (Il l'embrasse ; on entend de grands cris dans la coulisse.)
+
+ ANDRÉ, se retournant.
+
+ Quel est ce bruit ?
+
+ (En un instant, le théâtre est garni de soldats, de
+
+ paysans armés de pioches, de haches, de sabres et
+
+ de vieux fusils, etc. Cyprien est à la tête des
+
+ paysans. Bernard et Thérèse, attirés par le bruit,
+
+ entrent par un autre côté.)
+
+ SCÈNE XIV.
+
+
+ LES MÊMES, ÉMILIE, LASALLE, CYPRIEN,
+ BERNARD, THÉRÈSE, THOMAS, DRAGONS,
+ PAYSANS.
+
+ THOMAS, et autres paysans.
+
+ Lasalle, Lasalle ! point de grace ! point de pitié !
+
+ Lasalle ! Lasalle ! …
+
+ (Lasalle entre en scène, enveloppé dans un grand man
+
+ teau ; tous les paysans se précipitent sur ses pas.)
+
+ ÉMILIE, entrant, se place entre eux et son époux.
+
+ Arrêtez ! arrêtez !
+
+ CYPRIEN, le sabre à la main, et suivi de plusieurs
+
+ dragons.
+
+ Non, non, pas de pitié pour lui, il n'en a jamais eu
+
+ pour personne : malheur, malheur à lui ! …
+
+ THOMAS.
+
+ Oui, malheur à lui ! … vengeance ! !
+
+ LES PAYSANS.
+
+ Vengeance ! …
+
+ ANDRÉ, s'approchant de Cyprien, et élevant la voix
+
+ au-dessus des autres.
+
+ Écoutez, mes amis, un instant de silence !
+
+ Silence ! silence ! écoutons André Bernard.
+
+ CYPRIEN.
+
+ André Bernard ?
+
+ TOUS.
+
+ THOMAS.
+
+ Notre ami ! il est revenu ?
+
+ ACTE II, SCENE XIV.
+
+ 75
+
+ E
+ m
+
+ Quel bonheur !
+
+ TOUS.
+
+ PLUSIEURS VOIX.
+
+ Silence donc, silence !
+
+ TOUS.
+
+ Écoutons, écoutons,
+
+ ANDRÉ…
+
+ S'il est vrai que je vous sois cher, que mon retour
+
+ soit un bonheur pour vous, eh bien ! prouvez-le moi
+
+ donc, en épargnant, en laissant fuir le proscrit que
+
+ vous tenez en votre pouvoir.
+
+ Lasalle ! non, non !
+
+ TOUS.
+
+ CYPRIEN.
+
+ Le laisser fuir ! jamais ! …
+
+ ANDRÉ.
+
+ Écoute, Cyprien… à notre dernière rencontre, tu as
+
+ aidé à me sauver la vie… Tu m'aideras à sauver la
+
+ sienne.
+
+ Jamais !
+
+ Je t'en conjure.
+
+ Non.
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+ CYPRIEN.
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+ ANDRÉ.
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+ CYPRIEN.
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+ ANDRÉ.
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+ Au nom de l'honneur, je te l'ordonne,
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+ De l'honneur ! …
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+ CYPRIEN
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+ Et tu m'obéiras malgré toi… Vous aussi, mes amis, vous tous, vous renoncerez à vos projets de meurtre et de vengeance… Personne, en présence d'André Bernard, n'osera frapper un proscrit désarmé… Ecoutez, écoutez.
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+ AIR de la Ballade du premier acte :
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+ ANDRÉ.
+ Voyez-vous, là, dans la plaine,
+ L'ennemi que nous cherchons ?
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+ (Les paysans hèsitent ; quelques uns seulement répètent ces deux vers.
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+ ANDRÉ.
+ Jusqu'à lui, tout d'une haleine,
+ Il faut arriver.
+ (Tout le monde chante avec lui.)
+ Marchons !
+
+
+ ANDRÉ.
+ Mais, proscrit et sans asile,
+ Quand un ennemi s'exile,
+ Amis, soyons généreux :
+ Songeons au sort qui l'accable,
+ Et, fût-il même coupable,
+ N'importe, il est malheureux.
+ France, à ton courage,
+ Le ciel le prescrit ;
+ Guerre à qui t'outrage,
+ Paix au proscrit !
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+ CHŒUR GÉNÉRAL.
+ France, etc.
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+ (André conduit Lasalle et Émilie jusqu'au fond du théâtre ; les paysans lui ouvrent un passage. La toile tombe.)
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+ BIBL-CASANATENSE
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+ FIN.
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